Février 2012, j’ai bientôt trente ans et l’immense bonheur de mettre au monde mon fils. Je savoure cette rencontre avec son papa, je me découvre comme mère, je commence à construire cette nouvelle facette en moi, c’est le début d’un chemin que nous imaginons long puisque nous rêvons d’une famille nombreuse. Ce petit bout d’amour est arrivé tout naturellement, sans aucune difficulté, cela m’a presque surpris à l’époque car une crainte, une image, m’accompagnait depuis longtemps, celle de l’infertilité. C’est avec bonheur que j’ai abandonné cette représentation de moi-même et me suis glissée dans celle d’une maman heureuse, parfois fatiguée et dépassée bien sûr, mais heureuse.
Un an plus tard, nous décidons d’un nouvel arrêt de pilule, déjà prêts à revivre l’aventure ! Sans crainte cette fois et je suis rapidement enceinte à nouveau. Trois jolis mois s’écoulent et c’est en toute confiance que nous nous rendons à l’échographie au cours de laquelle nous apprenons que le coeur de notre petit s’est arrêté.
C’est pour moi, pour nous, un cataclysme. Je l’avais vu bouger quinze jours auparavant, c’était mon bébé, je l’aimais déjà, je tricotais pour lui, un petit gilet et puis une place dans notre vie. Il a fallu des mois, beaucoup d’amour de mon mari et de mon fils pour me relever. Il nous a fallu être inventifs pour bricoler notre façon de dire au revoir à ce petit être. Pour moi, cela a notamment pris la forme d’une longue lettre que j’ai ensuite enterrée sous un joli arbre.
Ce qui s’annonçait comme un « accroc » dans le parcours a été le début d’une période infernale. Quatre fausses couches ont suivi, aucune n’a été traumatisante comme cette première fois, car elles ont eu lieu beaucoup plus tôt, sûrement aussi car je me suis projetée avec prudence au fil des épreuves. S’est installée progressivement en moi l’idée qu’il y avait là quelque chose d’anormal. Mes craintes d’adolescente sont revenues à la surface. Les examens s’enchaînent, je les subis comme des échéances scolaires auxquelles j’ai toujours l’impression d’échouer, je « désaime » mon corps, je me vis comme une mauvaise mère et une femme incomplète, anormale.
Le diagnostic tombe comme un couperet : insuffisance ovarienne précoce. A la blessure narcissique s’ajoute celle de ne pouvoir combler mon mari qui rêve d’une famille nombreuse (dont des jumeaux garçon/fille !) et l’immense frustration de mon désir d’enfant à peine effleuré avec cette première maternité. J’essaie de me ranger au discours ambiant : je suis déjà mère, je devrais m’en contenter.
Mais mes tripes hurlent que ce n’est pas fini, j’ai encore tant à apprendre, je veux encore me faire bouleverser, transformer, par la rencontre avec la vie qui éclot.
La proposition qui nous est faite du don d’ovocytes m’apparaît d’emblée merveilleuse. Je n’ai pas à renoncer, comme dans l’adoption à laquelle nous avons aussi réfléchi, ni à la grossesse, ni à l’accouchement, ni aux premiers mois.
La génétique, je m’en fous, c’est l’histoire qu’on tisse ensemble qui compte. Je suis psychologue de métier et non généticien, cela m’aide probablement. Mon mari est emballé lui aussi, c’est une lumière au fond du tunnel qui apparaît. Il décide que nous recourions aussi à un don de sperme afin que nous soyons dans la même position vis-à-vis de cet enfant à venir. Je ne le mesure pas à l’époque mais je le remercie encore car je crois que, pour nous, cette solution a été très aidante, pas de décalage, on le fabrique à partir du même endroit cet enfant.
En France, il nous faudrait patienter plusieurs années, nous optons donc pour l’Espagne. J’ai pour ce pays une immense gratitude que j’ai senti se déployer en moi vers les donneurs et plus loin que ça, vers la vie. Je me souviens de ce retour du travail en voiture, après la ponction réussie de notre donneuse, mes larmes de bonheur vers cette femme que je ne connais pas mais qui m’a offert l’inestimable. Il y a dans mon lien avec mes petits jumeaux (car sont nés un garçon et une fille comme le rêvait mon mari !) ce merci à l’Autre et à la vie, cet apaisement qui m’a réconcilié avec moi-même, avec la mère et la femme que je suis. Ce sentiment de réparation profonde que j’ai alors savouré s’est prolongé par une grossesse fantastique, un accouchement par voie basse à terme et un allaitement long, une façon de donner de mon corps à mes enfants. Cette réparation liée au bonheur de mes loulous dans mon ventre a été très puissante puisqu’elle nous a offert une magnifique surprise : un bébé en retour de couches !!
Bien sûr, cette histoire chaotique n’a pas été sans heurts ni sans questions, notamment autour de la façon dont nous pouvons parler à chacun de son histoire. Avec mon mari, nous avons conçu notre propre support : un livre avec des photos de notre famille et nos mots qui se cherchent, un exemplaire pour chacun.
L’essentiel est là pour nous : la confirmation de ce que je pressentais, que l’amour n’en a rien à faire des gènes, j’ai le même amour viscéral pour chacun, la même certitude de mourir de chagrin s’il arrivait malheur à l’un, et celle de leur offrir mon amour jusqu’à mon dernier souffle.
Elisa Mercier
Article rédigé par Fertilemag .
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